Maelrhys ne put retenir un sourire attendri, face à l'inquiétude de la demoiselle.
-Ne vous tourmentez pas tant, chère enfant; si ce n'est pas vous, qui donnez à la princesse l'occasion de faire ses premiers pas dans le "Monde", ce sera une autre. Et bien que j'aie le plus grand respect pour dame Morgause et les dames de la cour, je préfère autant que ce soit vous. Vous êtes toutes les deux très proches l'une de l'autre, et si Gwenaëlle pouvait prendre exemple sur vous, je ne doute pas qu'elle deviendra sans tarder une délicieuse demoiselle. De plus, vous êtes la plus assidue parmi mes ouailles, aussi je ne me fais aucun souci à propos de l'avenir de cette enfant.
Il eut un autre sourire, large et chaleureux, comme pour l'encourager à faire de même.
-C'est un fait, dame Isabelle; tous les enfants doivent grandir, et grandir signifie perdre l'innocence des débuts... on ne peut rester toute sa vie aussi pur qu'aux origines, à moins de se couper du monde jusqu'à sa mort. Bien que cela puisse être louable, il y a tant de choses merveilleuses à vivre, ici bas.
*Parle pour toi, vieux barbon,* songea-il aussitôt. Que désirait-il, sinon précisément cela, finir ses jours dans le monastère le plus paumé de toute l'Eire, sans autre compagnie que celle des ses frères et des mouettes?
Mais elle était si jeune encore! Si jeune et si pure... le monde offrait certes de belles choses, mais pour cela, combien de désillusions, combien d'évènements fâcheux et d'occasions de perdre toute foi en l'homme?
La question était épineuse.
Son sourire s'effaça peu à peu derrière sa barbe hirsute.
-Les ambitions politiques, dame Isabelle; qui sommes-nous pour les différencier de la raison d'Etat? Sans ambitions politiques, peut être que votre père n'aurait pas la situation qu'il a aujourd'hui. Les gens de votre rang ont des devoirs, envers eux-mêmes et envers leur famille; voilà le fardeau de la noblesse, celui de devoir s'effacer devant leurs obligation, même si celles-ci les conduisent sur des routes qu'ils n'auraient jamais emprunté.
Il soupira, pensif.
-Quant à savoir si ces choses que vous devez défendre ont de la valeur, et si vous avez réellement le choix de vous opposer à votre destinée -je dis "vous", mais je pense que cela peut aussi concerner l'ensemble de la noblesse actuelle, c'est un vaste débat sur lequel vous en devriez pas m'amener, sous peine de devoir m'écouter palabrer pendant des heures...
Le vieux prêtre eut un sourire encourageant.
-N'ayez crainte, ma fille. Je suis certaine que vous saurez protéger Gwenaëlle des vicissitude de la vie. J'ai confiance en vous, acheva-il en souriant largement.