Le retour du sombre chevalier

Tandis que ses pas lourds écrasaient le sol de pierre, l'inexorable écho du grand retour du sanglant guerrier traversait le château de part en part.

Le voyage avait été long, éreintant. La besogne sale, mais jouissive. Et nécessaire. Il était temps de faire le ménage dans ces contrées reculées.

Et désormais, plus enclin que jamais à servir le Roi Mordred, l'ombre tant redouté, la brute épaisse, le colosse de rage, Grel le coeur de glace, retournait au bercail, et comptait bien réclamer la reconnaissance du monarque pour le sombre travail qu'il avait accompli.

Enfin il entra dans la salle du trône, où le Tyran, le visage empreint de l'ombre du soir, semblait réfléchir, accoudé nonchalamment sur le bras de son fauteuil imposant.

Greldinard s'approcha calmement, le roi leva lentement ses yeux sur lui, et lui adressa un regard mêlé de surprise et d'une satisfaction sadique.

Enfin Grel s'agenouilla, son s'appuyant sur son épée dont la pointe jouxtait le sol qu'elle semblait menacer de toute son impressionnante taille.

Monseigneur! Enfin je reviens de la campagne sanglante dans laquelle vous m'avez envoyé. Le royaume de Gaurres semble désormais tout à faire dévoué à votre cause, et le sang qui coule dans ses rivières, les cris de désespoir qui résonnent dans les plaines, les témoignages des fuyards cachés dans la forêt, sauront maintenir la population dans la plus docile obéissance. Je me permet de réclamer, ô sire Mordred, votre reconnaissance et l'importante rémunération promise à un mercenaire de mon état.

Enfin, le chevalier releva la tête, et de son regard froid, observa Mordred. Il attendait sa réponse.

Les yeux du guerrier brillèrent d'avidité. Il n'avait pas manger à sa faim depuis un petit bout de temps, et la nourriture du royaume de Gaurres ne lui plaisait guère. Il empoigna les victuailles, et trinqua avec son seigneur.

Enfin il se releva, et, les mains toujours posées sur le pommeau de son épée, il s'adressa à son suzerain:

"Majesté, je suis un aventurier, un homme des routes, un guerrier, et je ne puis souffrir l'inactivité. Si vos intentions peuvent me mener à gagner autant d'or que je viens d'en gagner désormais, je suis prêt à vous offrir ma lame.
Dîtes-moi quels sont vos demandes, et je tâcherai de subvenir à votre royale requête."

Sur ces mots, le chevalier caressa le haut de la lame de son épée avec son pouce droit. Ses longs cheveux de neige lui cachait la moitié de son visage baissé, et ses yeux noires semblaient disparaître dans la pénombre.

Greldinard n'était point homme à s'endormir sur ses lauriers...tâchés de sang!

Du moins guère très longtemps, avant de ressentir l'irrépressible envie d'en découdre, de nouveau, et de triompher, à la tête des armées, sans cesse plus nombreuses, de son roy et maître.

Si son champion souhaitait très vite retourner sur les champs de batailles, il ne serait nullement déçu!

Rassure toi!
Car un ramassis de racailles et de vulgaires pillards se regroupe à deux endroits distincts de l'île...
Nos forces conjuguées à celles de la Bretagne, et d'autres alliés, devraient nous suffire à écraser cette engeance!
Mais je compte sur toi pour que notre armée fasse la plus grande part de la tâche!

D'ici les combats entraîne chaque jours nos hommes, et le jour dit...Ramène moi le plus de crânes barbares possible!!
Voici mes ordres!

Ceci claironné, Mordred se mis à ricaner de tout son saoule...
Avant de se relever, coupe en main, pour inciter son lieutenant à le suivre :

Viens avec moi!
Je vais t'indiquer tout cela sur la carte!

Dit il en désignant le long parchemin déployé sur une table leur faisant face.
Puis il montra les deux pages d'une main :

Donne leur ton épée et viens!

Mordred était enthousiaste, comme un gamin avant une belle partie de " la Bretagne est à moi! "*

*Jeu favoris du tyran, enfant! :p*

HJ: merci de la précision :p

Le visage de Greldinard s'éclaira. Bien que fatigué, sa soif de violence était perpétuelle, et de nouvelles échauffourées ne pouvaient que le réjouir.

Il lança son épée sur le sol - un bruit assourdissant résonna dans la salle - et s'empressa de rejoindre le seigneur Mordred auprès de la carte.

Il la fixa, et ses yeux semblaient brûler du même feu qui allait probablement brûler les camps de ces bandits.

Votre Majesté, ce sera un honneur pour moi d'écraser ces moucherons. Mes troupes sont en attente dans les plaines du royaume. Elles se reposent pour l'instant, mais j'ai bien l'intention de faire reprendre les entraînements.
Lorsque vous me donnerez le signal, j'attaquerai ces brigands. Montrez-moi donc l'emplacement de leurs trous.

Un sourire malsain se dessina sur le visage de l'animal.

Pleinement satisfait par l'attitude ( toujours ) si enthousiaste de son meilleur chef de guerre, Mordred s'empressa de désigner, de l'index, la région du Gwynedd ( au nord des Galles ) :

L'ennemi principal se niche ici!
Sigurd le nordique.
Nous devrons scinder nos forces en deux groupes et assiéger ce sauvage dans son château...
Afin de l'empêcher de joindre ses forces à son allié, se trouvant...ici!

*Le roy plaque alors son doigt plus au nord, et à l'Est, près du mur d'Hadrien*

Je compte sur toi pour briser la résistance de ces chiens au plus vite, de les museler, tandis que le sir Méladius fera de même à l'autre point de fixation!
Les troupes saxonnes ou orcadiennes, au nord de l'île, prendront, eux, en tenaille les barbares!
Des navires de guerre empêcheront nos ennemis de fuir : la Bretagne sera leur cimetière et leurs amis du continent n'oseront plus jamais venir nous défier, crois moi!

Sans parler de l'apport du haut roy, plus que décisif, puisque le chevalier Lancelot en personne devrait mener les soldats ( d'élites ) d'Arthur lors de cette campagne...

Oui, les nordiques et leurs misérables alliés ( alliance disparate, hétéroclite et sans réelle cohérence ) allaient souffrir et périr, sous les coups de l'Union Bretonne ( l'UB en force! :p )...

Et le fier Greldinard ne sera sûrement pas le dernier à trancher des têtes et à piétiner ces brigands!

A cette pensée, hautement réjouissante, Mordred ne put qu'afficher le plus large des sourires carnassier.

Greldinard sourit à son tour, un fin sourire de loup, bardé de dents pointues. Les misérables n'avaient aucune chance de s'en sortir. Ce serait un vrai massacre.

Monseigneur, commença le sombre chevalier, cette bataille ne représente pour moi aucun défi, ce sera un jeu d'enfant. Les nordiques sont de bons guerriers, mais leur stratégie les met en échec dès aujourd'hui. Agneaux ou monstres, cela ne fait aucune différence ; ils se dirigent droit vers l'abattoir.

Conservant son horrible rictus de cruauté et paraissant déjà se délecter des meurtres à venir, Greldinard s'avança jusqu'aux pages tout en parlant et détacha calmement de ses mains gantées l'agrafe de sa lourde cape de voyage. Il leur tendit son manteau puis se tut, marquant une pause qu'il prolongea au delà du nécessaire ; car, de toute évidence, les deux serviteurs n'existaient pas à ses yeux et il n'attendait pas d'eux qu'ils quittent les lieux.

C'est pourquoi, Monseigneur, reprit-il enfin en relevant la tête vers son interlocuteur pour mieux le scruter de ses prunelles d'acier, je souhaite vous demander une faveur.

Sa voix était claire et forte, comme son bras, et comme son regard. Quelle audace que la sienne ! Regarder le tyran en face et lui demander quelque chose, sans nulle forme de politesse !

Ses lèvres remuèrent à nouveau, avec une fermeté telle qu'elles ne pouvaient être de chair. Et de même ses dernières paroles retentirent, distinctes, tranchantes, insolentes.

Mettez-moi à l'épreuve.

La chevalier noir acquiesça, acceptant sa nouvelle mission sans discuter. Un peu déçu, peut-être - car il aurait préféré prendre tel donjon ou terrasser tel monstre ! - mais une légende ne se forge pas en un seul jour. Les rebelles du pays de Gaurres représentaient eux aussi un danger, et Greldinard savait qu'il ne devait pas les sous-estimer. Si son épée pouvait pourfendre n'importe quel adversaire qui lui faisait face, elle était cependant moins utile face à l'homme fourbe qui l'attaquerait dans le dos. Oui, le roi était sage d'envoyer son champion écraser la révolte. Plus tard, lorsqu'elle serait organisée, elle serait invincible.

Frappant son buste de sa paume gantée, Greldinard s'inclina avec une force et une discipline martiales. C'était un homme sanguinaire et cruel. Mais il était aussi plein de noblesse, du moins la chose semblait-elle évidente en cet instant. Il se redressa de toute sa hauteur pour parler.

Votre majesté, je porterai d'une main de fer votre jugement aux infidèles de Gaurres. Après avoir goûté la saveur de l'acier trempé, ces gueux auront nettement moins de verve. Greldinard inclina à nouveau la tête, symboliquement cette fois. A moins que vous n'ayez autre message à me transmettre, je vais me mettre en route sur le champ. Ma tâche est de celles que laisser refroidir serait malavisé.

Arrachant des mains des deux pages sa lourde cape sans autre forme de procès, Greldinard sonda le regard de Mordred, attendant son autorisation pour déchaîner la tempête.