Appartements privés de Sir Gauvain, en soirée

Le soir tombait. Un domestique était venu silencieusement allumer le feu avant de se retirer tout aussi silencieusement mais Gauvain se sentait glacé jusqu'à la moelle.
Avait il rêvé ? Ou était ce vraiment ...
Il se resservit à boire et engloutit le contenu de la coupe d'une seule gorgée puis se dirigea vers la cheminée et tisonna le feu, contemplant muettement les flammes pendant de longues minutes.
Était ce la folie ? Ou l'avait il vraiment vu ?
Il essaya de chasser les pensées qui l'obsédaient en allant et venant dans la pièce, essayant de se concentrer sur les affaires du royaumes, ou à n'importe quoi d'autre mais le souvenir de l'apparition l'obsédait.
De guerre lasse, il retourna à une des fenêtres et se perdit à observer la danse des flocons pourchassés par les rafales de vent glacial.
Machinalement, sa main se porta à sa poitrine et s'y crispa autour du pendentif qui ne le quittait jamais.
Ses lèvres remuèrent sans qu'aucun son ne s'en échappe mais si la clarté avait été moins faible et si un observateur avait osé braver le temps pour regarder la fenêtre, il aurait pu mettre un nom sur la plainte muette.
- Aliénor.. , murmura de nouveau Sir Gauvain.

Quelque chose l'observait. Gauvain se retourna brusquement.
Elle était là, face à lui.
Et elle lui parlait désormais. Jamais elle ne lui avait paru aussi réelle. Qu'est ce que cela impliquait ?
Elle avait raison sur au moins un point. Pourquoi la craignait-il ? Il n'avait eu aucunes raisons de la craindre quand elle vivait...
Cette pensée lui donnait envie de pleurer et il étouffa rageusement cette impression.
Il avait besoin d'elle ? Il l'avait réveillée ?
Prenant une grande inspiration, il se retourna et lui fit face, prenant un long moment pour admirer la silhouette gracile et la longue chevelure blonde qui ramenait à son esprit la sensation de ses mains en train de les caresser.
- Qui es tu vraiment ? Si tu es vraiment qui tu sembles être...
Il ne finit pas sa phrase, n'osant pas prononcer le nom, attendant avec une inquiétude mêlée d'un soupçon d'impatience la réponse de l'esprit.

La jeune femme fantomatique sentit la peine qu'il eut. Elle aussi aurait aimé un vrai contact.

Gauvain, mon bien-aimé... Je ne viens pas pour faire renaître de vieux souvenirs. Gwenaelle fait des cauchemars et j'ai peur qu'il se réalise.

Aliénor craignait pour son unique bébé, sa fille adorée. Elle avait vu des choses et connaissait son futur.

Ou est-elle ?

Elle s'inquiétait que ce qui était arrivée soit plus malheureux que prévu.

La question le surprit et chassa brièvement la peine qu'il ressentait, il ne s'attendait pas à cela.

- Gwenaelle ? elle est en voyage. Vers l'Austrasie, elle est partie avec sa grand mère.

La réponse avait été instinctive et lui laissait le temps de réfléchir à ce qu'on venait de lui dire.

- Des cauchemars ? Elle est en danger ? Quelqu'un lui veut du mal ?

Si quelqu'un touchait à sa fille... Gauvain sentit la colère monter en lui. Malheur à celui qui s'attaquerait à Gwenaelle, la mort ne serait que la partie la plus douce de son châtiment. Sa main se crispa machinalement, cherchant la poignée de l'épée qu'il ne portait pas. Il se radoucit en contemplant le visage de son aimée.

- Explique moi ma bien aimée...

Aliénor fit jaillir les flammes du foyer.

Gwenaelle, à mon grand malheur a hérité de mes dons. Il y a quelques nuits, j'ai du l'apaiser.

Dans les flammes des minis silhouettes se formaient .

Voila son rêve.

Les flammes avaient formés des hommes en train de se battre.

Je lui viens en aide seulement, lorsqu'elle m'appelle. Or je m'inquiète. Quelque chose de grave doit-être arrivé ?

Gauvain frissonna devant les flammes. Il n'avait pas eu le temps de s'habituer à ses pouvoirs et le contraste entre la chaleur des flammes qui bondissaient maintenant, mimant des guerriers en train de combattre et le froid extérieur n'arrangeait rien. Il devait aussi avouer que la nature spectrale de son Aliénor bien aimée jouait sans doute un rôle sur sa nervosité.

- Gwenaelle possède ces dons ? Cela risque de la mettre en danger ?

Il était hypnotisé par les flammes, cherchant n'importe quel indice dans les silhouettes flamboyantes pour essayer d'identifier la scène et les intervenants.

- C'est ce qui l'attend ? ça c'est déjà passé ?

La frustration de ne pas savoir exactement ce qui menaçait sa fille lui donnait envie de hurler.

Le simple contact des mains de son aimée sur les siennes le fit de nouveau frissonner.

- Impossible de le demander à Morgause maintenant. Reste Morgane...

Il conserva l'idée en mémoire pour plus tard et se concentra sur ce que disait Aliénor.

- Tu es en train de me dire que notre fille est en danger et que je ne peux rien faire ?! Et ...

Il hésita quelques instants mais il voulait savoir et essayer d'agir. Il balaya ses hésitations et posa la question qu'il redoutait.

- ... quel est ce secret ?

Après une pause imperceptible, Gauvain s'empressa d'ajouter.

- Si tu peux me le confier évidemment.

Son instinct lui disait qu'elle ne pourrait pas. Mais ça ne l'empêchait pas de s'interroger. Il lui sourit tendrement. Si elle ne pouvait ou ne voulait rien lui dire, ça ne changerait strictement rien à ses sentiments, il le savait et elle le savait également. Il l'aimait.

Elle ne pouvait pas lui répondre, mais il n'en était pas surpris.
L'anneau lui parut anormalement lourd quand il tomba dans sa main. Les sentiments pèsent plus lourd que l'or.
Et maintenant elle allait partir. Une part de lui voulait l'en empêcher, l'empêcher de le quitter, la garder près de lui mais il repensa à sa fille et chassa cette idée.

- Va alors. Va l'aider puisque je suis impuissant à le faire.

Il hésita quelques instants, bousculé entre des sentiments divers qu'il se sentait incapable d'exprimer et finit par ajouter, un ton plus bas, presque inaudible.

- Je t'attendrai.

Gauvain s'assit sans même sans rendre compte, saisit la coupe qu'on lui tendait sans la voir et la vida d'un trait. Devait il espérer la revoir ? ou espérer ne pas la revoir parce que la rencontrer de nouveau impliquerait qu'un danger menaçait leur fille ?
Il faillit sursauter quand Valéria l'embrassa sur le front. Il ne l'avait pas vu arriver.
Elle ne s'inquiétait pas pour Gwenaelle. En ce moment il aurait presque aimé se dire que c'était une rancune vis à vis de l'enfant de la première épouse mais il savait pertinemment qu'elles s'entendaient très bien. Valéria se contentait d'exprimer un avis humain qu'il aurait sans doute partagé volontiers avant cet avertissement lu dans les flammes.

Je l'espère, murmura-t-il à mi voix.

Gauvain sourit gentiment à Valéria. Elle s'inquiétait pour lui. Il devait reconnaître qu'il la comprenait, il s'inquiéterait aussi pour lui à sa place.
Devait il lui dire ce qu'il avait vu et entendu ? Il réfléchit rapidement alors qu'il la prenait dans ses bras mais décida que non. Il ne voulait pas qu'elle se retrouve mêlée à une éventuelle complication si Mordred entendait parler de tout ça...
Il lui sourit pour la rassurer.

Tout va bien, juste un mauvais pressentiment. Je suppose que tous les pères s'inquiètent pour leurs enfants.

L'anneau dans sa main se rappela à son souvenir. Il prit la main de Valéria entre les siennes et caressa délicatement les longs doigts fuselés. Il lui déroba un baiser et sourit de nouveau, plus largement.

Ne t'inquiète pas.

Il ne put s'empêcher de rendre le sourire malgré ses appréhensions quand elle le regarda dans les yeux. Elle était ravissante.
Son coeur se serra quand elle parla d'un garçon. Il le désirait, elle avait raison. Il l'aimait également, il n'y avait aucun doute à ce sujet.
Mais la récente apparition d'Aliénor lui avait rappelé des souvenirs qu'il s'était efforcé d'enfouir. Il ne voulait plus revivre cette douleur.
Il essaya de chasser ses appréhensions, sourit de nouveau à Valéria, l'enlaça et l'embrassa, exorcisant ses angoisses entre les bras de sa fiancée.

La question de Valéria arracha un soupir à Gauvain. Il aurait aimé pouvoir lui répondre, ne serait ce que parce que cette réponse aurait indiqué qu'il savait lui même ce qui se passait. Il choisit de répondre par une vérité dont il était sûr.

Que de l'amour pour toi.

Dans sa main, l'anneau se rappela de nouveau à son souvenir. Il sourit à la jeune femme, l'embrassa et la garda tout contre lui, serrant et caressant la main entre les siennes. Un simple mouvement et l'anneau glissa lentement le long d'un doigt de sa nouvelle propriétaire.

Prenez et portez cette bague ma Dame. Un modeste témoignage de mon amour.

Gauvain se sentait pleinement heureux avec sa fiancée. Il referma ses bras autour d'elle, l'enlaçant comme si il voulait la protéger du monde entier.
Il lui rendit son baiser avec amour, la calinant tendrement et lui murmura gentiment à l'oreille.

Ma vie est votre, ma bien aimée.

Sur ces mots, il l'embrassa de nouveau, savourant ce plaisir indescriptible qu'il ressentait quand il était avec elle.

Il la laissa se blottir dans ses bras et l'embrassa tendrement pendant qu'il l'enlaçait. Il se sentait bien avec elle. Après les émotions du début de soirée, elle lui apportait un point de stabilité dont il avait besoin.

Moi aussi je vous aime.

Sur ces mots, il la serra entre ses bras, dans une étreinte à la fois plus passionnée et plus délicate et ferma les yeux, se détendant et savourant l'instant présent.