Vous ne vous en doutiez pas...

[ À qui veut! Je suis impatient ]

Qui aurait pu se douter...? Gareth n'avait pas pris le temps d'écrire à sa mère ni même à son frère de sa venue en Orcanie. Aussitôt avait-il reçut son congé du Haut-Roy de Bretagnes, Arthur Pendragon, qu'il avait pris quelques provisions au passage, avait fait scellé sa monture et avait transformé monts, et vallées, et tempêtes, et blizards, et déserts... pour rejoindre son pays natale!
Sa hâte avait été si... grande (!) qu'il ne s'était pas même donné l'obligeance d'apporter quelques vêtements propres pour se changer. Il passerait donc le mois de congé qu'il avait obtenu avec ces mêmes loques poussièreuses. Car quand bien même était-il prince, il ne possèdait aucun revenu... Aucune terre, aucune ombre de pièce d'or! Cela ne l'importait pas... du moins pour l'instant. Quand il prendrait femme, la chose serait différente. Pour l'instant... il serait bientôt promu à un grade qui le faisait battre des mains et sauter au plafond... Dans moins de quatre lunes, il fêterait sa dix-septième année de vie dans une chapelle, pour sa veillée d'arme! Et Lancelot l'adouberait chevalier.
Lancelot! Le GRAND LANCELOT! Cet homme si vertueux! Ce demi-dieu encore plus puissant qu'Hercule! Encore plus vénérable que César! Encore plus...

- Qu'on mette ma monture à l'écurie! s'écria t'il en sautant en bas de sa monture, un petit sac en toile de jute sur son épaule.

Les palefreniers scrutèrent curieusement le manant méconnaissable, échangèrent quelques regards surpris...

- Et allez quérir ma mère, la reine Morgause! Avertissez le roy que son frère Gareth l'attend! Et ne tardez point mes braves gens! Il me tarde de les serrer dans mes bras!

S'était-il douté de la réaction des serviteurs de Mordred? Aucunement! L'écuyer avait répondu simplement, faisant valoir à la fois ses droits... et souhaitant ainsi se faire non pas reconnaître... mais tout simplement s'annoncer dans les bonnes et dues formes!

À peine avait-il ordonné qu'il enjambait la cour du château. Quelques hommes s'écartèrent de son chemin, intimidé tant par sa grandeur que par son assurance naturelle... mais encore une fois, notre brave compagnon ne l'avait guère remarqué!
Avait-il seulement réalisé qu'il n'était plus ce petit gamin blondinet aux joues rosées que les gens avaient connus? Avait-il conscience qu'il était devenu un géant de six pieds à l'air joviale mais imposant... et toujours aussi blond?
Le beau temps avait tané sa peau... et il pêlait à quelques endroits, pour avoir pris un trop long bain de soleil. La jeunesse l'abandonnait, lui conférant un corps masculin d'adulte, une voix grave (mais toujours aussi chantante!), des manières non pas de prince... mais de véritables chevaliers. De lui émanait un respect naturel... une audace et une droiture impressionnante.

Gareth ne put s'empêcher de se retourner au passage d'une jolie femme, qui ne lui accorda qu'un regard désinteressé. Qui pouvait être cette mystique créature à la chevelure flamboyante, tressée en une multitudes de filets vermeilles, ornés de coquillages et de perles précieuses? Qu'importait son nom! Elle était plaisante à regarder! C'était là l'important.
À cet âge, on ne se soucie pas d'autres choses...

Le prince d'Orcanie revint dans sa position initiale en quelques secondes, un grand sourire étirant ses lèvres.
De belles dames...
... le parfum des fleurs ...
... le bruit des conversations des marchands vendant leurs babioles aux richissimes nobliaux ...
... la caresse tiède de l'air sur sa peau bazané ...
... le sentiment de béatitude ...
... se savoir ENFIN à la maison, après tant d'années! ...
... Qu'étaient-ils devenus, ces gens qui avaient peuplés le monde de son enfance?

Sa mère avait-elle vieillit? Était-elle malade? Les ravages du temps lui avaient-ils été pénible? Morgause avait toujours été quelque peu sorcière... Peut-être était-elle parvenue à sauvegarder sa santé et son apparence?
Et Mordred! Son frère... devenu roi!!! Par quel stratagème avait-il écarté Agravain du trône?
Il avait ouï dire que le fénéant tyran avait pris pour épouse une ravissante comtesse... On racontait qu'il s'agissait d'une femme possédant une rare beautée, ayant acquis depuis longtemps des qualités forts précieuses. Apparemment, elle serait sorcière!
Bien étrange, fort curieux et très interessant!
Gareth se languissait de connaître cette femme sensible qui avait écarté d'un soupire, d'une parole, d'un battement de cil la présence de l'héritière d'Orcanie, l'émotive Élizabeth...
Et Agravain! Pauvre enfant! S'était-il rétablit du mauvais sang qui le tenaillait depuis sa tendre jeunesse?
Tant de choses devaient avoir changés... Tant de choses avaient disparut avec le temps... et d'autres avaient pris sa place. Rien que dans cette cour où il avait grandit, il pouvait le remarquer. Qu'en serait-il du reste?!

Un oeil indéchiffrable se posa sur le jeune seigneur fraîchement arrivé, lorsque la barde passa à sa hauteur.

Morrigane traversa la cour pour se réfugier dans l'ombre du porche monumental, assise le dos calé contre l'arche de pierre, son corbeau sur l'épaule. Ses jambes croisées sous ses jupes fendues, ses interminables cheveux ruisselant sur ses épaules, elle s'occupa à refaire une de ses tresses en chantonnant. A première vue, on eût put la prendre pour une enfant; ou une simple d'esprit..
A première vue seulement, car le regard qu'elle posa sur le nouveau venu n'avait rien d'innocent.

Elle se frotta le nez et donna une pichenette à Nébu qui s'ébroua et s'en fut à la pèche aux renseignements. S'il ressemblait à sa mère, ça allait être joyeux.

L'oiseau s'envola, croassa légèrement, battit des ailes, se posa en se dandinant pour observer l'homme d'un regard rond, luisant et curieux.

Dans son coin, Morrigane les observait toujours, ses longs doigts manipulant habilement ses mèches rousses.

Gareth, trop enthousiasmé, ne s'était guère rendu compte que la belle était allé se poser paisiblement dans l'ombre rafraîchissante de cette chaude journée de presque été. Il ne vit ni n'entendit sa noire bête se poser non loin de lui, sur un perchoir pratiqué sur l'une des nombreuses statues qui ornaient le château de Warminster. Une tête ronde, un bras tendu, un nez proéminent, ... tout était bon pour reposer ses petites ailes endoloris!

Le jeune écuyer grimpa quatre à quatre les quelques escaliers menant à l'entrée, où deux gardes lui bloquèrent le chemin.

- Point de passage manant! Le roy n'est pas en sa demeure. Il ne peut donc reçevoir vos gémissements! ordonna le premier en posant sa main sur la garde de son épée.

- Or d'ici! renchérit le deuxième en imitant son collègue.

Quoi...?! On l'empêchait d'entrer en sa demeure? Mais... Mais... Mais... Que la reine Morgause descende de son nid luxueux! Elle pourrait le recconnaître! Une mère se devait de toujours se souvenir de son fils. Non?!

Son expression d'étonnement se transforma peu à peu. Ses yeux pairs interrogateurs, passant d'un garde à l'autre, se mirent à les fixer joyeusement... et ses lèvres s'étirèrent en un ravissant sourire, aux dents droites et blanches!
Il fallait croire qu'à Camelot, son oncle Arthur s'était grandement bien occupé de lui!
Le brave recula de quelques pas, les mains au dessus de sa tête, comme un drapeau blanc levé dans le ciel...

- Bien, mes bons nobliaux! Ne vous agaçez donc pas! ...

Ils étaient jeunes... Peut-être avaient-ils le même âge que lui, ou peut-être étaient-ils un tant soit peu moins âgé. Le petit roux était nerveux... L'autre n'était pas très sûr de lui.
Tue-Dieu! Son frère avait un don pour s'entourer d'incapable... Fort heureusement, il y avait leur mère!

L'écuyer qui prendrait bientôt sa place autour de la Table Ronde de Camelot, se retourna, faisant ainsi dos à ses nouveaux zamiiiis.
Il mit ses mains dans ses poches, toujours aussi sûr que lui, un sourire en coin...
À sa taille, il pourrait aisément forcé l'entrée... et plusieurs gens ayant regardé la scène avaient dût entretenir l'espoir d'une bagarre...
Nenni!
À quoi celui lui aurait-il servit?! Il avait grandit dans ce château! Comme tout bon gamin qui se respecte, il en avait exploré les moindres recoins... et connaissait des entrées dont l'existences étaient demeurées secrètes pour la plupart des habitants des lieux.
Avec malchance, Mordred ou Agravain, voir même peut-être Morgause aurait condamné les passages... (Il grimaça). Sa mère avait-elle chercher la cause de ses retours, petits gars, recouvert de boue et d'immondices diverses, de toiles d'araignées (frisson... il y en aurait des tonnes! Depuis combien d'années n'étaients-il pas revenu...) et de morsures (les rats, les araignées et autres insectes).

Gareth, sifflant joyeusement un air entraînant, main dans les poches, nez au vent, traversa à grands pas l'immense cour...
Derrière lui, un corbeau déploya ses ailes d'ébènes et plana assez bas, dans son dos... sans qu'il ne s'en rendit compte. Quelques ronds... et le volatile fit halte sur terre où il piocha quelques roches... quelques pas, plusieurs bonds... quelques pas, battement d'ailes...
Les gens observaient cet étrange cinéma... Curieux!

Le prince d'Orcanie se retourna brusquement et s'appuya contre le haut mur de pierre du château... Il fouilla quelques secondes dans sa poche et en sortit un petit bout de lard salé envellopé dans un tissus dont la propreté était... soyons franc, très douteuse.
Il planta ses dents dans celui-ci, macha longuement (il était trop dur! Pauvre de lui!)... Et lorsqu'il fut assuré que personne ne lui prêtait plus attention, il contourna le mur en un coup de vent.
POP!
Il n'était plus là... magie!

Gareth fit quelques pas... Encore quelques pouces et il pourrait atteindre les fenêtres. S'il sautait, peut-être parviendrait-il à s'aggriper au bord de l'une d'elle... l'expérience était risquée. Mais oh combien plaisante!
Et s'il tombait sur une belle jouvencelle en train de faire sa toilette?!
Il en rougit, le traître!

Il prit une fenêtre qui lui sembla plus basse que les autres... Pris son élan... S'élança... Bondit tel une bête sauvage et... Manqua de souffle en atteignant le mur, à quelques millimètres de l'encadrement de la fenêtre...
Il retomba sur le sol, sur ses charmants lauriers dissimulés sous un pantalon trop grand pour lui...

-Et bien seigneur, vous met-on à la porte? Demanda la voix chantante de la barde, penchée au-dessus du jeune homme.

Une tresse s'échappa de ses cheveux ramenés en arrière et se déroula jusqu'à chatouiller son visage.

-Si vous me permettez un conseil, passez par les toits, cela vous évitera de débarquer à l'improviste chez une tierce personne..

Elle se redressa et tortilla entre ses doigts la tresse échappée, tandis que Nébuchad se posait sur son épaule en lissant ses plumes.
La jeune femme observa un moment l'écuyer toujours à terre, et fit une profonde courbette, s'inclinant dans un bruissement de jupes et de perles, tandis que le corbeau se dandinait d'une épaule à l'autre pour ne pas être envoyé au tapis.

-Si sa seigneurerie veut bien me suivre, dit-elle avec une pointe de moquerie dans la voix.

Gareth, un peu sonné par le double choc, abaissa ses paupières sur ses étranges iris... Un douleur le prit au front (il aurait très certainement une ravissante bosse!), puis tout le long de sa colone vertébrale.
Il expira, soupirant de douleur.
Mais quelle galère, quelle galère!
Il avait affronté vent et marrée et désert... pour se retrouver à la porte de sa demeure! Et il s'avérait assez fou pour aller paîttre dans le sable...

Il inspira, puis expira à nouveau. D'une main, il chassa la mouche (la mèche) qui venait le titiller de ses mignones petites pattes noires (rousses?!?).

Quelle surprise eut-il lorsqu'il ouvrit ses yeux, découvrant qu'il n'y avait jamais eu d'insectes... mais une ravissante jeune jouvencelle, au décolté des plus provocants!

Et tue-dieu... QUELLE VUE!!!

Gareth bredouilla quelques paroles incompréhensibles, avant de se relever maladroitement. Il s'épousseta, faisant ainsi lever un nuage de poussière autour de son corps, comme une aura sale de lumière.

- Que nenni, douce dame jolie! Je cours à l'instant prendre une chambre à l'auberge, n'enfreignant point la porte de la demeure de mon très cher frère, roy d'Orcanie!
Sire Gareth, ma dame... pour vous servir!

Le jeunot de seize ans fit une cérémonieuse (mais oh combien militaire) révérence à la barde du roy.

La jeune femme parut surprise et eut un sourire en coin. Le frère du roi hein?

D'une main, elle resserra les lacets de son corsage, prenant soudain conscience de la vue qu'elle venait d'offrir au jeune homme. Bah au moins il était réveillé à présent.

-J'ignorais que dame Morgause eût tant de fils, seigneur. Vous êtes donc de retour au pays? Ce doit être bien vexant pour le frère du roi de se faire interdire l'entrée du château.

Ce disant, elle caressa distraitement le plumage de jais de son compagnon. Un petit sourire fila sur ses lèvres fines, tandis que ses yeux translucides fixaient l'écuyer d'un regard indéchiffrable.
S'il comptait prendre une chambre à l'auberge il en serait pour ses frais... Un jeunot comme ça était une proie rêvée pour tous les voleurs, escrocs et autres catins plus ou moins bien déguisées que les tripots de Warminster pouvaient receler.
Et le jouvenceau, au vu de l'émoi provoqué par la vision de son décolleté, semblait encore bien impressionnable..

L'idée de voir un petit prince dans la panade était plutôt plaisante, d'autant plus que cela ne manquerait pas de mettre Mordred dans le plus grand embarras -ce qui réjouissait d'avance la barde. Mais bon. Il était un jeune écuyer avant d'être le frérot de son maître, alors ce serait peut être un peu abuser que de le laisser aller seul.

-Dans ce cas.. Commença-elle avec une fausse timidité, ses petites mains tatouées sagement croisées dans son dos. Permettez que je vous accompagne, Warminster recèle bien des pièges pour un jeune homme comme vous.

Ceci dit il était écuyer, et donc futur chevalier, et donc se faire escorter par une va-nu-pieds pouvait peut être lui déplaire. Mais ce qui était dit était dit...

-Libre à vous de refuser, cela dit, reprit-elle dans une vaine (?) tentative de rattraper son erreur.

- S'il vous plaît d'accompager un homme de ma condition, dans un état aussi lamentable, cela me ferait grand plaisir! Cela dit, j'ai quelques petites... choses à faire avant de m'y rendre...

Gareth, bien qu'il ne fut pas venu en Orcanie depuis dix ans, avait quelques comptes à rendre. De quelle nature? Nul ne le saurait jamais, car il s'agissait bel et bien d'un grand secret!

- J'y serai avant le coucher du soleil, rejoignez-moi à l'auberge. Cela vous convient-il?

-Je n'oublierai pas, sourit Morrigane en inclinant sa jolie tête de charmante façon.

Elle s'inclina à nouveau, obligeant Nébu à crapahuter sur ses épaules.

-A ce soir, donc..

La jeune femme lui sourit avec un clin d'oeil espiègle et s'en fut, ses petits pieds nus soulevant à peine la fine poussière de la cour, ses longues tresses tintant au rythme du balancement de ses hanches.

Quelques pas plus loin, sans doute se croyant hors de vue, elle jeta un bref regard aux alentours et grimpa agilement sur un auvent plus bas que les autres, et disparut sur les toits en sautillant, ses jupes frémissant autour de ses jambes fines.

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