Confession d'un assassin

[Ambiance musicale: Carlos Nuñez, Ad libitum (musique introuvable sur le net, alors si vous voulez écouter jvous passerait ça sur meuseuneuh)]

Il faisait nuit, ou presque. Du moins, juste assez pour qu'on ne puisse, sauf regard de chouette, distinguer la silhouette qui se glissa dans la chapelle.

Angemort mit un genou en terre et se signa rapidement devant le chœur où quelques cierges formaient de vastes halos de lumière dansante dans l'obscurité qui s'étendait, lentement, sous les voûtes du lieu.

Personne, à première vue. L'endroit était désert, ce qui, dans un sens, arrangeait bien l'assassin. Il n'aimait pas qu'on le voit se faufiler comme un voleur dans la demeure de Dieu, pas plus qu'on le voie s'agenouiller devant qui que ce fût et quoi que ce soit sans qu'il en tire quelque profit.
Le fait était qu'Angemort tenait plus que tout à sa réputation solide de parfaite ordure et de psychopathe professionnel, et que les quelques accès de lassitude et d'humanité qu'il se laissait parfois avoir n'étaient connus que de rares personnes.

Il s'assit sur un banc non loin du confessionnal, ses yeux clairs parcourant les voûtes silencieuses comme si une armée d'ennemis avaient pu s'y cacher, mais la lassitude le poussa à relâcher son attention, et c'est sans doute pour cette raison qu'il ne se retourna pas lorsqu'un pas léger se fit entendre dans le silence.

Florin s'installa lui même en face du tueur à gages et après s'être saisit de sa bible personnelle, se signa comme il se devait ... L'évêque pouvait désormais confesser ce croyant si particulier .

" -Pardonnez-moi mon père, car j'ai péché. "


Florin esquissa un léger sourire convenu ...

*Nous sommes tous des pécheurs en puissance .*

Angemort parut hésiter, lui, le tueur dont la main ne tremblait, sans doute, jamais ... Puis se décida a aborder la raison de sa présence en ces lieux :

" -J'ai assassiné un innocent. "

Florin s'attendait à cet aveux mais en fut, malgré tout, quelque peu décontenancé ... N'était ce pas là l'une des conséquences de son "travail" ? ... Cela demandait quelques précisions .

Qui était cet homme et ... que c'est il passé exactement ? ...

L'évêque se replongea dans ses pensées, en attendant d'avoir la réponse à ses questions ...

*Nul n'est innocent ici bas ...*

-Je crois que je me suis mal exprimé, mon père; soupira-il avec un brin de lassitude.

Il baissa les yeux sur ses mains comme des araignées blafardes dans la pénombre.

-C'était un enfant.

Ses yeux de glace, d'une vague couleur d'améthyste, revinrent se poser sur ceux du prêtre derrière la grille.

-Son propre fils, ce me semble.

Un instant de silence.

Ses poings se serrèrent soudain. Il n'aimait pas se confesser, mais il avait soudain ressenti le besoin d'avouer ce crime. Quelqu'un devait forcément pouvoir comprendre ce geste, même si une part de lui-même ricanait en douce devant ce soudain accès d'humanité.

Comme si une séparation se faisait entre l'assassin et l'humain, entre le serpent tueur sans âme et l'homme, avec ses doutes, ses craintes et sa conscience, même vague, du bien et du mal.

L'un s'en contrefichait d'avoir égorgé un enfant dans son lit. Pas l'autre.

Comme quoi, même au sein du pire tueur subsiste encore un soupçon d'humanité.. Qu'une partie de lui-même semblait se distraire en l'observant, comme un gamin étudie les fourmis qui se pressent à ses pieds, avec le même mélange d'amusement et de mépris.

-On m'avait envoyé tuer quelqu'un. Mais visiblement, il savait qu'on avait mit sa tête à prix, alors il s'est montré prudent. Au point de faire dormir son fils à sa place, dans son lit.

Il ferma les yeux à demi.

Il faisait très noir, et Angemort n'avait perçu de sa victime que son souffle paisible, et la chaleur de sa peau sous sa main, immédiatement suivie de celle de son sang qui imprégnait les draps, petit à petit.

-Je n'ai réalisé mon erreur que plus tard. Il avait commis l'erreur de pointer le bout de son nez en croyant que la mort ne viendrait pas pour lui ce soir-là.

Sa main droite se serra encore un petit peu, comme si elle se souvenait du geste qu'elle avait accompli.

Il rouvrit les yeux et les planta résolument dans ceux, impassibles, de l'évêque.

-J'accorde peu de prix à la vie humaine, il est vrai; mais ceux qui savent affronter la mort quand elle vient, se résoudre à partir sans résister, lorsque je viens pour eux, je leur accorde le privilège d'une mort douce. Mais les lâches, ceux qui préfèrent voir mourir leur enfant plutôt qu'eux-mêmes, je les méprise plus que tout.

Sa victime avait eu tout le temps de voir sa fin arriver... Il l'avait saigné comme un porc, le laissant se vider de son sang.

-Comprenons-nous bien, mon père; reprit l'assassin d'un ton sec et glacé. Je ne suis pas ici pour sauver mon âme, pas plus que pour me faire pardonner mes péchés.

Il croisa ses longues mains, le regard toujours fixé sur le prêtre, sa voix grave emplie d'une immense amertume dépourvue d'illusions.

-Toute une vie de pénitence et de bienfaits ne suffirait pas à effacer mes fautes, et même Notre Seigneur n'aurait pas le pouvoir de m'absoudre, si telle était sa volonté. Ce dont je doute, mon père.

Et pourtant, pourquoi était-il là?

-Cependant, reprit-il d'un ton étrangement pensif, comme s'il analysait ses mots à mesure qu'il les prononçait, j'ai tout de même poussé la porte de votre confessional. Sans doute qu'un meurtre de trop alourdissait plus que de raison le fardeau que je porte. A vrai dire..

Son regard se fit songeur, presque lointain.

-J'ai pensé que vous comprendriez. Et qu'au moins une fois dans ma vie quelqu'un me dirait que je pouvais espérer le pardon, ou du moins une excuse valable pour expliquer mon geste.

Il se tut, et un lourd silence tomba. Angemort était un assassin de la pire espèce, un tueur sans âme pour qui une poignée de pièces d'or valait bien la mort d'un individu, et il n'espérait ni pardon, ni absolution. De toute manière, même l'évêque n'avait pas le pouvoir de les lui accorder.

Pourtant, les paroles de Florin lui avait procuré un certain soulagement.. Comme si on lui avait brièvement ôté une partie de son fardeau.

Il poussa un soupir léger, et une ombre passa dans ses yeux violets, vague reflet de l'immense lassitude qui lui tombait sur les épaules. Une partie de lui-même fuyait le contact des autres, tous potentiellement victimes de ses lames; l'autre étouffait dans les ténèbres de son esprit, isolé et seul avec ses remords, ses souvenirs, et le sang sur ses mains.

On pouvait lire une sorte d'interrogation dans ses yeux. Un espoir, fol et vain, peut-être; un sursaut d'humanité qui se débattait d'entre les rets qu'il avait lui-même tissé pour museler sa conscience lorsqu'il avait prit la route noire et sanglante des assassins.

Il se savait condamné. Il se savait seul. Il se savait coupable d'un million de crimes.

Et ce soir-là, nettoyant ses dagues du sang de l'enfant et de son père, il avait ressenti le besoin de se débarrasser d'un peu de sa culpabilité, quitte à souffrir pour cela.

-Allez-y mon père, je vous écoute; dit-il finalement, rompant l'épais silence qui avait coulé entre eux. Quelle pénitence pour mon crime?