*Angoisse et prophétie* (Morgane)

Je te salue, Soleil des saisons,

Voyageant dans le ciel, là-haut

De tes pas puissants sur l’aile des cimes,

Tu es l’heureuse Mère des étoiles.

Tu sombres dans l’océan périlleux

Sans douleur et sans blessure

Tu nais sur la vague tranquille

Telle une jeune reine en fleur.


Morgane concentra son esprit sur l'acte magique qu'elle allait accomplir. Ses sœurs s'étaient murées dans un silence souverain se joignant mentalement à elle. Tendant ses deux bras écartés vers le ciel, les paumes tournées vers les nuages, Morgane resta ainsi figée tendue comme la corde d'un arc durant un long moment. Puis elle les baissa sans hâte en expirant légèrement. Au même instant le soleil se leva. La Déesse avait entendue le chant des prêtresses et faisait naître un nouveau jour. Le miracle quotidien avait eu lieu! Les ténèbres n'engloutiraient pas le monde aujourd'hui. Alors que les prêtresses se dispersaient pour aller prendre leur petit déjeuner on informa Morgane que Mordred était à la porte du temple et qu'il lui demandait audience. La Dame sourit

- Faites-le entrer. Je le recevrai ici.

Alors que le souverain au port altier arrivait Morgane perçut sa nervosité certaine. Mordred ne venait pas simplement "faire une bise à sa tata". Morgane attira Mordred dans ses bras. Il émanait d'elle quelque chose d'apaisant et de serein.

- Je vous souhaite la bienvenue mon neveu!

Elle relâcha son étreinte sachant pertinemment que Mordred n'avait pas été habitué aux démonstrations d'affection. Elle fit mine de ne pas remarquer l'embarras du roi et l'invita à s'asseoir auprès d'elle sur un banc de pierre.

La vocation de Morgane était d'écouter les gens et de tenter d'apaiser leur âme, au meilleur de ses connaissances. Et l'âme de son bien-aimé neveu était tourmentée. La chose n'était point nouvelle. Mordred descendait d'une longue lignée de famille possédant le Don. Certains avaient reçu l'enseignement pour l'exploiter et d'autres vivaient avec sans le comprendre et irrémédiablement un peu en solitaire à l'égard du monde matériel. Pour la première fois Mordred était séparé de sa mère qu'il vénérait et à ce titre il s'inquiétait de son sort et de celui de son royaume.

- J'ai aperçu votre mère en vision il y a peu Mordred... Il y avait longtemps que le Don ne s'était pas manifesté à moi de façon inattendue et forte. Morgause a du subir des violences importantes. Je l'ai ressenti jusqu'au plus profond de mon être. Elle a su séparer son corps de son esprit et cela lui permet de tenir bon.

Morgane attendant quelques instants que son émotion s'apaise reprit

- Ma soeur est vivante. Et elle vous attend. Vos ennemis attendent également, ils s'impatientent, s'agacent et s'affaiblissent. Le masque d'impassibilité que vous avez porté finira par vous donner ce que vous cherchez.

Morgane s'approcha du puits sacré bâti avec des pierres d'Avalon et invita le roi à s'approcher à son tour. La prêtresse sortit d'un petit sac accroché à son cou une poignée d'herbes froissées qui emplirent sans tarder l'atmosphère d'un parfum envoûtant et entêtant.Au creux de sa main fine elle goûta l'eau du puits et comme à chaque fois qu'elle accomplissait ce geste, elle ressentit une émotion intense : celle de l'éternel miracle de la vie, don de la Grande Déesse. Les quatre éléments se trouvèrent ainsi réunis, l'eau qu'elle avait bue, la terre sur laquelle était encrée ses pieds menus, le soleil et l'air.

Elle glissa ses mains dans celle de son neveu, ferma les yeux et prononça les formules d'usage dans l'ancien Langage.

Alors le monde entier bougea et Morgane et Mordred avaient l'impression de se balancer de gauche à droite. Des formes autour d'eux apparaissaient, se diluaient et leurs regards étaient de plus en plus attirés par la surface liquide. L'eau du puits s'était ternie : un remous gris et noir l'agitait, s'apaisait, s'éclaircissait. La voix de Morgane, lointaine et irréelle parvint à Mordred

- La Déesse vous écoute mon roi. Vous pouvez formuler vos demandes.

La Dame passa une main légère à la surface de l'eau qui ondula doucement et prononça

- Que ceux qui souhaitent voir regardent !

Et les images défilaient dans le puits sacré montrant ce que Mordred souhaitait voir : sa mère. Son époux se tenait à ses côtés et tous les deux faisaient face à l'adversité. Morgane pouvait sentir toutes les sensations qu'éprouvait sa soeur : la vengeance, la pitié, la rage. Une grande rage contre ceux qui l'emprisonnait, contre la faiblesse de son mari et tout simplement contre le fait que quoiqu'il arrive elle était seule et ne pouvait compter que sur sa force. Les images étaient là mais elles s'interprétaient différemment pour chacun.Au même moment l'odeur des herbes envahit d'avantage les lieux. A chaque aspiration, dans un tourbillon de fumée, la terre semblait tourner plus vite mais Morgane restait solidement campé sur ses pieds, offrant à son neveu ses mains et le point d'équilibre entre la Terre et la Mére.

Ma mère!
La reverrais je, enfin?...
Me sera t-il donné...de la sauver?

Elle sentit Morderd resserrer son emprise. Et comme à chaque fois qu'elle effectuait ce rituel Morgane fut secouée de spasmes, insérée dans un étau, étouffée par des forces invisibles. S'éleva en elle une voix venant des profondeurs

"Ma fille, Je suis et reste avec toi. Penche-toi à nouveau pour Me voir dans le puits Sacré."

Alors une vague d'amour la submergea et elle se laissa glisser doucement dans les bras de la Dame d'Eternité. Tout en ayant quitté son corps elle le savait, elle éprouvait physiquement un bouleversant réconfort qu'elle transmettait à Mordred par le lien de leurs mains unies. En dessous d'elle, son enveloppe charnelle était restée sur Terre. A travers elle la Déesse répondit

- Dans le grand livre du destin j'ai lu que tu sauverais ta mère et qu'ensemble vous la vengerez. Tout ce que vous perdez aujourd'hui demain vous le retrouverez!

l'eau redevint limpide et ils virent apparaître les scènes des ravisseurs. Ils étaient figés et portaient des haillons. L'image était si nette qu'on distinguait même la pluie ruisseler.