* Isabelle et Kadoudal *

HJ : Allez y, je vous en prie, ma douce mie Wink

La gente demoiselle avait remercié le serviteur avec courtoisie, s'était laissé conduire, au bras de son amant, jusqu'à la salle des dames ; puis, avec le ton d'une hôtesse confiante et assurée d'être dans son bon droit, lui déclara :

-"Doux seigneur, prenez place. Un verre de vin vous ferait plaisir, sans doute ?"

Elle attendit sa réponse, puis lui servit un verre de vin soigneusement coupé d'eau - c'eût été dommage qu'il fut trop fort en cet instant - pour enfin, saisir l'instrument de musique entre ses petites mains, recouvertes de dentelles noires.

-"Soyez indulgent, mon ami. Je n'ai pas beaucoup pratiqué la musique profane."

Elle guetta l'approbation dans son regard ; puis effleura les cordes de sa main droite, après avoir enlevé son gant.

Une note cristalline s'éleva aussitôt, puis toute une mélodie paisible... un son léger et un peu lent, qui appelait à la quiétude et au bonheur d'un instant ... magique. Elle évoquait la douceur du foyer, la caresse de la brise de printemps, où tout renaît et s'épanouit à la vie ; la beauté des fleurs, et tout son amour naissant.

Puis sa voix s'éleva dans l'air frissonnant, élevant dans l'air un sillon blanc, pareil à un oiseau qui s'envole.

-"Au pré de la rose
Au pré de la rose
Un ruisseau d'argent, dérirette
Un ruisseau d'argent

Il y a neuf palombes
Il y a neuf palombes
S'y baignent dedans, dérirette
S'y baignent dedans

S'y sont tant baignées
Ont mouillé leur peau

Ont pris la volée
Volent doucement

Font la reposée
Sous un bel ormeau..."

(Gascogne - Albret. Ronde de neuf.
http://www.branche-rouge.org/chansons/chansons-medievales-et-traditionnelles-francaises/au-pre-de-la-rose )

Alors qu'Isabelle et son conseiller servant allaient pénétrer dans la salle des dames, Kadoudal eut un regard amusé en direction de la chambre ou avait logée la sorcière Ophélia, pendant un temps ... Elle était inoccupée et la porte était restée en l'état : elle gisait encore sur le seuil de la pièce . Aussi, le soudard se demanda un instant si l'ex reyne cuisait dans le chaudron de Vohan ou celui d'Hector, puis chassa ses pensées ( pourtant cocasses ) de son esprit .

-"Doux seigneur, prenez place. Un verre de vin vous ferait plaisir, sans doute ?"

Kadoudal s'installa, opina du chef pour signifier son acceptation et pris la coupe que lui tendit sa belle amie ... Il en but une seule gorgée et offrit un délicat sourire à sa très chère .

-"Soyez indulgent, mon ami. Je n'ai pas beaucoup pratiqué la musique profane."

Et je ne suis pas suffisamment qualifié pour pouvoir vous jugez sur ce point, ma chère !

Propos sensés rassurer et encourager sa jeune promise ... Mais les premières notes enchantèrent littéralement ( et instantanément ) l'orcanien, tandis que la fort belle et mélodieuse voix d'Isabelle lui arrachèrent des émotions, des sensations, qu'il n'aurait jamais cru pouvoir ressentir un jour : c'était divin . Comme l'exquise boisson qu'il dégustait dans le même temps, d'ailleurs ...

Kadoudal considéra son amie et n'eut qu'un seul mot :

C'est magnifique !

La jeune comtesse avait aperçu la direction qu'avait pris le regard de son fiancé. Et tout en chantant, son expression devenait de plus en plus triste.
Pauvre dame Ophélia...

Comment pouvait-on devenir folle, alors que la vie lui souriait ? Alors qu'elle était riche, belle, jeune, admirée, aimée ?
Étais-ce le manque de piété que Dieu avait voulu punir ? Ou la vie débauchée d'une dame qui aurait être un exemple pour la population d'Orcanie ?

Elle songea brusquement à son hôpital en construction, et aux maçons qu'elle avait engagé. Et tandis qu'elle arrêtait (inconsciemment) de jouer, son regard se perdit... au loin...

Goeffroy de Kadoudal pouvait-il lui mentir ? Comme Ophélia avait menti à tous ? Les sentiments étaient vraiment trop fragiles... Il ne suffisait que de penser à Charles de Padoue. Le goujat avait pensé la traiter comme la dernière des catins ; mais Isabelle n'était pas damoiselle à se rouler comme la dernière des paysannes avec un homme à peine connu (fut-il beau, élégant et cultivé) sous le clair de lune, derrière les fontaines. [HJ : http://www.branche-rouge.org/chansons/chansons-medievales-et-traditionnelles-francaises/la-fontaine-troublee ... ces chansons me font triper ^^]
Et certes, elle était bien heureuse pour lui et dame Alicia, mais cela ne changerait point pour lui son opinion.
Une manifestation quelconque de sa part eut été, tout de même, la moindre des choses.

Mais ! La damoiselle leva la tête, brusquement. Rougit en reprenant sa vielle.

-"Je.. je ne suis pas d'humeur à jouer... En vérité, nous pourrions appeler un ménestrel, vous savez, celui à qui le château a accordé l'hospitalité cette nuit. Et danser tous les deux... Parler de notre avenir.. Celui de l'Orcanie, et de l'Austrasie, puisque votre destin est lié aux pas de dame Morgause et de sire Mordred. Mon fiancé..."

Elle le couva d'un regard où l'espoir se mêlait à une grande tendresse. Puis un éclair taquin passa dans ses yeux calmes.

-"Vous pourrez me dévoiler vos talents de danseur !"

Ah qu'il était bon de siroter un bon cru en ouïssant sa dame manier avec doigté son précieux instrument ...

Mais qu'avait elle donc, soudainement ? Cette divine petite biche au regarde si mélancolique ...

Pourquoi son regard s'était il voilé, son sourire évanouit et ... que signifiait cet air absent ?

Isabelle était elle tant absorbée par sa propre mélodie, abîmée dans les songes que suscitaient en elle cette poésie, pour paraître aussi lointaine, comme "recluse" en elle même ? ...

Elle refit surface :

"Je.. je ne suis pas d'humeur à jouer... En vérité, nous pourrions appeler un ménestrel, vous savez, celui à qui le château a accordé l'hospitalité cette nuit."

C'était donc ça ... Et il fallait quérir un musicien, Kadoudal interpella un petit page, passant par là :

Tu as entendu ?
Alors presse toi !

Tiens, la demoiselle voulait maintenant ... danser et ... discutailler politique ? Mais certes, pourquoi pas . L'orcanien n'était pas si lourdaud que ça ...

Il se leva et lui fit un sourire avenant . Que la comtesse était belle lorsqu'elle se faisait ... mutine .

-"Vous pourrez me dévoiler vos talents de danseur !"

Le sourire du soudard devint nettement plus ... ( auto ) ironique :

Si talents il y a ... Ma chère ... Si j'en dispose .

Dit il en relevant sa ceinture, d'un geste désinvolte, histoire de se donner un air crâne alors ... qu'il doutait quelque peu de ses capacités en la matière .

La jeune fille regardait d'un œil attendri son fiancé faire le fier-à-bras.

Dans un bruissement de jupe, elle se leva, en lui tendant les mains ; et lui chuchota, d'une voix douce :

-"Ne doutez pas de vous, mon doulx ami. Vous n'avez qu'à suivre mes pas..."

Elle avait récupéré toute sa gaieté, et si ses yeux étincelaient comme des diamants au soleil des Indes, sa peau avait pris une délicate teinte rosée, comme la peau veloutée et douce des pêches, mûries à l'ombre des palmiers de la lointaine Ibérie.

Et tandis que les notes de musique montaient dans l'air poussiéreux, au rythme envoûtant d'une chansonnée connue, énoncée d'une voix mâle et claire, Isabelle de Mannach colla les paumes de ses mains tendues à celles de son futur seigneur.

"Combien j'ai douce souvenance
Du joli lieu de ma naissance !
Ma sœur, qu'ils étaient beaux les jours
Sans retour !
O mon pays, sois mes amours
Toujours !"

Lentement la comtesse tournoya sur elle-même, le bruit de ses petits pas se fondant dans le son aigrelet de l'instrument.

"Te souvient-il que notre mère
Au foyer de notre chaumière
Nous pressait sur son cœur joyeux,
Ma chère
Et nous baisions ses cheveux blancs
Tout deux ?"

Elle tapa dans ses mains deux fois, puis s'éloigna en reculant, menant toujours la danse, d'un pas alangui mais sûr.

"Ma sœur, te souvient-il encore
Du chateau que baignait la Dore ?
Et de cette tant vieille tour
Du Mort
Où l'airain sonnait le retour
Du jour ?"

Elle lui tendit la main, s'échauffant. Ses bonnes pommettes devinrent progressivement plus rouges, preuves flagrante d'une éclatante santé ; preuve aussi d'une joie dont elle n'avait pas l'habitude.

"Te souvient-il du lac tranquille
Qu'effleurait l'hirondelle agile
Du vent qui courbait le roseau
Mobile.
Et du soleil couchant sur l'eau
Si beau ?"

Levant les mains, elle se rapprocha de lui, ses pieds battant la mesure, dévoilant parfois, sans le remarquer, un éclair de la mousseline de son jupon. Et recolla ses paumes aux siennes...

Kadoudal fut un peu étonné de voir avec quelle virtuosité la si délicate Isabelle évoluait en dansant ...

Et elle savait parfaitement mener le jeu, si l'on peut dire : une petite menotte de fer dans un gant de velours ...

Mais c'était désormais au conseiller de faire montre de ses maigres talents de danseur : alors que le ménestrel poursuivait la chansonnette, l'orcanien plaqua l'une de ses paumes de mains dans celle de sa partenaire, tandis que son autre bras allait se cacher derrière son dos .

Te souvient-il de cette amie
Tendre compagne de ma vie ?
Dans les bois cueillant la fleur
Jolie.
Hélène appuyait sur mon cœur
Son cœur.

Le soudard fit un sourire complice à sa belle amie, puis tout deux tournèrent sur eux même, avant de s'immobiliser ... Ce fut alors le moment de changer de mains et les deux fiancés tournèrent une nouvelle fois sur place, dans le sens inverse .

Isabelle ...
Dieu que je me réjouis d'avoir eut l'honneur de croiser votre chemin .
Que votre bon père soit plus que remercié d'avoir eut la magnifique idée de vous envoyez à Warminster !

Oh ! qui me rendra mon Hélène
Et ma montagne, et le grand chêne ?
Leur souvenir fait tous les jours
Ma peine.
Mon pays sera mes amours
Toujours !

Après le second tour, Kadoudal se saisit doucement des deux mains d'Isabelle, recula de deux pas ( la comtesse devant faire de même ), relâcha, tapa dans ses mains, pour ensuite se rapprocher de sa partenaire et la faire tourner une nouvelle fois, paumes contre paumes ... Légère variante à l'arrivée : les deux danseurs continuèrent sur leurs lancée, tout en se lâchant la main, tournèrent d'un demi cercle sur eux même, tapèrent des mains, puis refirent le même mouvement, dans l'autre sens ...

Un ultime accord prolongé et Kadoudal s'immobilisa, placé de trois quart face à dame Isabelle : il lui décocha un léger sourire malicieux ... Avant de s'incliner devant elle .

Vous êtes, décidément, un vrai petit pinson chantant et dansant ...
Aah, vous êtes étonnante ma chère !

L'orcanien avait à peine transpiré : une autre danse peut être ?

La jeune fille rit de bon cœur, le regard tendre et amusé, où brillait une lueur de fierté :

-"Puisque je suis donc pinson, vous êtes alors beau faucon, messire Geoffroy. Et par trop modeste envers vous-même... Vous êtes très habile en la matière ! Même si je ne puis réellement juger."

Isabelle lui adressa un sourire à la fois timide et éclatant de gaieté, en proie à toute l'émotion d'une jeunesse trop retirée du monde, et qui en découvre les délices pour la première fois :

-"Vous êtes mon premier cavalier, conseiller" lui souffla t-elle alors, ingénument, baissant les yeux avec pudeur.

Elle avait confusément l'impression qu'elle se conduisait comme une écervelée ; mais la jeune comtesse était comme... grise. Ivre de musique, ivre de danse, ivre du contact rude et rassurant des mains calleuses de son fiancé, le seul qui la toucherait ainsi !

Prolonger l'instant ; oublier le visage de sa vieille dame de compagnie qui semblait ricaner dans un coin de la pièce (à cause de son stupide émoi ?), ignorer le sang qui ne cessait de couler de ses jambes meurtries par son cilice, qui normalement aurait du contribuer à lui faire garder la tête froide !

Comme munis d'une vie propre, ses pieds et ses mains esquissèrent de nouveaux pas, au son de l'instrument du ménestrel.

-"Je suis bien aise que ce romain ait préféré dame Alicia. Voulez-vous... danser encore ...?"

En jeune fille bien élevé, elle lui laissa l'initiative de mener la danse, encore une fois, tandis que les premières paroles de la chanson résonnait dans la salle dédiée aux Dames du château.
Discrètement, sa duègne martela sa canne sur le sol, en rythme, manière de rappeler sa présence et d'inciter le danseur a exécuter les volontés de la damoiselle.

Kadoudal accueillit avec un sourire de triomphe les satisfecit de la douce comtesse et la remercia chaudement pour ses louanges :

Merci grandement mon amie !
J'ai plaisir a m'exercer avec vous .
Mais ne suis point sûr d'être aussi agile ... qu'un oiseau de proie !

Plaisanta t-il, avant d'esquisser un semi rictus en entendant ceci :

-"Je suis bien aise que ce romain ait préféré dame Alicia."

Dieu qu'il était déplaisant de ouïr le nom de ces deux importuns ! Le genre d'individu qui mange à votre table mais vous poignarde quand vous avez le dos tourné : des ingrats et des cuistres !! Mais qu'importe .

"Voulez-vous... danser encore ...?"

Volontiers !

Répondit aussitôt l'orcanien, alors que le musicien commençait a exécuter un début d'air plus qu'entraînant ...

Alors Kadou pris les mains d'Isabelle dans les siennes et tourna sur lui même, vivement mais pas brusquement, entraînant ainsi sa cavalière dans la ronde .

Avant de se rapprocher de la belle enfant, de relâcher une main, d'en lever une autre, le bras en fait ... Et de lancer ceci à l'intéressée :

Et à présent, tournez mon ange !

Paroles pleines d'audaces ?
Remplies d'affection surtout !

Jamais la douce enfant ne s'était autant amusée, de toute sa vie !

Aussi ne prit-elle pas absolument pas la mouche. Elle était tout simplement heureuse, naïvement candide et enchantée de cette journée... merveilleuse.

Avec grâce, Isabelle tournoya sur elle-même, entraînant le galant conseiller à sa suite.
Puis posa à nouveau ses petites paumes sur celles plus grandes de son futur, se déplaça de trois pas sur la droite... et de claquer des mains, imitée par son compagnon.

De nouveau, elle rejoignit ses mains à celle de Kadoudal, pour se déplacer, en six pas chassés, vers la gauche.

Un peu essoufflée, la damoiselle murmura :

-"A vous de tourner, monseigneur."

Elle avait grande envie de joindre sa voix à celle du trouvère ; mais elle ne connaissait pas très bien la chansonnée.
La jeune fille se contenta alors de suivre la mélopée avec ses pas... mais les pensées s'envolèrent...

-"Messire Geoffroy... Est-ce ici votre seule demeure ?"

Une idée avait germé dans sa petite tête bien faite.

-"A vous de tourner, monseigneur."

Et le beau sir tourna, puis claqua en mesure dans ses mains avant de ... s'arrêter pour souffler un peu, car l'orcanien commençait a manifester quelque signes de fatigue . Il était peut être temps de mettre fin à cette séance mouvementée ... Kadoudal entraîna donc sa fiancée à une table . Une fois assis, le conseiller versa un peu d'eau dans deux coupes et en donna une à Isabelle . Pour une fois, lui aussi se contenterait d'un peu d'eau claire pour se désaltérer ...

-"Messire Geoffroy... Est-ce ici votre seule demeure ?"

Grave question : le soudard possédait bel et bien un manoir planté dans la campagne orcanienne, mais lui rappelait moult mauvais souvenirs :

Je possède un domaine ...
Qui aurait besoin d'être réaménagé .
Pourquoi cette question ?

Demanda t-il, un peu ... candidement .

La jeune fille était à peine essoufflée, et elle aurait bien continuée à danser des heures durant !

Mais les désirs de Kadoudal étaient ceux qui comptaient. Il était vieux, après tout, il fallait le ménager. D'ailleurs, quel âge avait-il ? Oh, mais qu'elle était impolie ! Son âge n'avait pas d'importance.

Isabelle prit sa coupe d'eau et la but avec un délice non-dissimulé. C'était bien meilleur que ce vin rouge épais et par trop capiteux très en vogue au château...!

Un grand sourire illumina son visage un peu enfantin, et elle posa son regard tendre et joyeux sur son interlocuteur, sans séduction aucune, emplie d'une parfaite innocence.

-"Je pensais que nous pourrions nous faire bâtir une demeure à côté de Warminster. Nous serons indépendant du château... et nous pourrons y vivre une existence exempte de souvenirs... Ne serais-ce pas une bonne idée ? Et puis, nous pourrons donner du travail aux maçons qui m'en ont demandé, pour l'hôpital. J'ai du en refuser deux, rien qu'hier."

Elle ne désirait pas que Geoffroy continue d'être hanté par sa défunte épouse. Mais surtout, surtout... rester près du pouvoir, comme l'avait ordonné son père ; mais aussi pour avoir le loisir de visiter chaque jour l'hôpital. Son hôpital !

Kadoudal acquiesça aussitôt à l'écoute de la proposition de sa fiancée ...

En effet son manoir, qui tombait en ruines, n'était plus qu'une source d'angoisses et de souffrance pour lui et ... cela faisait, déjà, une "éternité" qu'il résidait au château ( tout près de Morgause ) .

Mais désormais que la donne avait changée, et en attendant de devoir suivre la reine mère en Austrasie, pourquoi ne pas accéder à la demande, somme toute logique et normale de la belle Isabelle ?

J'y consens !
Nous ferons donc cela ...
Il est possible ... Qu'un endroit précis, me vienne a l'esprit .

Dit il, un peu songeur, en tendant une main aimante vers sa promise . Avant d'ajouter, l'air de rien :

A propos ...
Les travaux, pour cet hôpital ... Vont ils bon train ?

Après tout il ne s'agissait là que d'aménager un vieux bâtiment quelque peu ... délabré .

La damoiselle joignit les mains avec candeur.

-"Oh, mon doulx ami, vous savez, les travaux sont encore au tout début. Il leur faudra une bonne année pour tout finir ! Il leur faut tout déblayer, et puis le projet implique quelques sculptures sur le fronton.
Et pour appuyer le projet de Dame Morgause, j'ai eu une autre idée."

Isabelle jeta un regard fort amène à sa duègne et au ménestrel.

-"Payez donc cet homme et trouvez-lui un endroit où se reposer. Vous restez bien quelques jours à Warwinster ? Vos ballades réchaufferont nos cœurs dans la salle commune."

Puis, les voyant sortir, la jeune fille reporta ses yeux verts sur ceux du conseiller.

-"Pardonnez-moi... Je suis si égoïste, je ne parle que de moi ! Racontez-moi donc ce que vous avez en tête... !"

Elle posa sa petite main blanche sur des siennes, rougissant avec innocence.

Ce vieux briscard de Kadoudal était ravi de voir sa mie si enthousiaste et heureuse, semblait il ...

"Et pour appuyer le projet de Dame Morgause, j'ai eu une autre idée."

Il fronça les sourcils, marquant ainsi sa curiosité et son intérêt :

Dites moi ... j'ai fort hâte de l'apprendre, ma chère .

Mais la toute belle était déjà partie et emportée par son propre élan :

"Racontez-moi donc ce que vous avez en tête... !"

Et bien ... commença le soudard en tâchant de réfléchir à la question de son mieux ...

Je pense pouvoir obtenir une très agréable maisonnée toute proche de la forêt, mais point trop éloignée de Warminster même !

Kadoudal sourit, tout autant de joie que ... mu par une mesquinerie sans limite : le domaine en question ayant appartenu à feu le sir de Winter ...

Cadeau d'Ophélia, dont il ne put guère profiter .

Les yeux d'Isabelle brillèrent comme des escarboucles, remplies d'une joie somme toute très naïve et juvénile.

Cela ne lui ressemblait... tellement pas ! Elle qui d'habitude était si réservée et si calme, là voilà maintenant pleine d'entrain et de projets d'avenir !
L'intéressée elle-même avait du mal à se reconnaitre ; mais pour une fois, elle ne tenterait pas de se maîtriser.

Connaitre mieux son fiancé, l'habituer à sa présence, et oublier tout ce protocole compliqué : telles étaient les règles qui lui soufflait sa conscience, et en gentille fille sage, Isabelle se gardait bien de s'y opposer. N'était-ce pas sensé, lorsque l'on sait que l'on va épouser une personne, jusqu'à la fin de ses jours ?

La douce enfant répondit donc d'une voix gaie, bien que très légèrement songeuse :

-"Une bonne maison de pierre... oh, mon doux sire, j'ai grande hâte de voir ça. Me laisserez-vous l'aménager ? Je vous promets que vous ne serez pas déçu ! Je connais un excellent ébéniste au comté, que nous employions pour faire des réfections au couvent. Il est honnête et d'une moralité à toute épreuve."

La belle s'interrompit, une rougeur vive envahissant son jeune visage un peu embarrassé.

-"Je vous demande pardon. Je m'emporte comme la dernière des servantes... Mais, voyez-vous, jamais je n'ai eu la possibilité de pouvoir envisager de faire tout cela. Vous m'offririez tant !"

La joie bonne enfant d'Isabelle était touchante et tout à fait rafraichissante : comment lui en vouloir et ne pas partager, même, son enthousiasme ... Ou l'encourager dans ses initiatives, propositions et projets qu'elle souhaitait voir entreprit et faire aboutir .

Vous êtes merveilleuse ma chère !
Vous n'êtes jamais a cours d'idées !
Et c'est heureux ...

Pour ma part je ne m'y entends guère, pour tout ce qui concerne l'aménagement d'une demeure .
Aussi ... Je vous fait donc entièrement confiance : faites pour le mieux, je suis persuadé, en effet, que vous ne me décevrez pas !

Et le contraire serait stupéfiant : Isabelle était la rigueur, le sérieux et l'abnégation personnifiée !
Kadoudal avait foi en elle ... bien plus qu'en lui même, d'ailleurs ...

Encouragée, un sourire immense sur ses lèvres pâles, la jeune fille murmura :

-"Vous allez me rendre folle d'orgueil... ! Je vais avoir trop de choses à confesser. D'ailleurs, voudrez-vous venir avec moi parler au prêtre ?"

Isabelle le regarda dans les yeux, aussi pure qu'un petit ange.
Le dévisager était étonnamment agréable : il paraissait si fort, et si ... fragile, à la fois ! C'en était étrangement déstabilisant.

Comment pouvait-on savoir si on avait des sentiments pour quelqu'un ? Était-ce mal, de ressentir le sentiment d'amour ? Madame d'Atalarik pensait que c'était malsain, et qu'un couple ne pouvait trouver refuge que dans l'amitié, pour qu'il puisse être solide.

-"En parlant de religion... je pensais peut-être partager l'hôpital de charité entre religion catholique et païenne. Mais il faudrait d'abord en parler à messire Mordred... pensez-vous que cela serait bien accueilli par le clergé ?"

-"Vous allez me rendre folle d'orgueil... ! Je vais avoir trop de choses à confesser."

Voilà qui fit bien rire le bon Kadoudal : comparé au soudard qu'il était, sa douce amie était un véritable archange de vertu et de pureté ! Elle avait grand tort de culpabiliser autant ...

"D'ailleurs, voudrez-vous venir avec moi parler au prêtre ?"

Cela s'imposait, c'est juste : le conseiller acquiesça :

Certainement !
Qui irons nous rencontrer ?

Kadoudal aurait souhaité pouvoir rencontrer le jeune père Agravain ou, à la rigueur, le vieux byzantin ... Car l'évêque Maelrhys était également ... son confesseur et ... tout cela le mettait plus que mal à l'aise .

Puis, Isabelle lui fit part de son projet de partager le futur hôpital avec les adeptes de la Déesse : une bien généreuse idée ... Qui devait, en effet, recevoir l'aval du roy et même ... de l'évêque de Warminster, donc :

J'approuve votre initiative et vous appuis : j'en ferai donc part à notre roy, demain, lors de la séance du conseil !

Et pour ce qui est de l'avis de l'Église d'Orcanie ...
Parlez en au prêtre que nous rencontrerons très bientôt, mais pourquoi refuseraient ils ? ( les chrétiens )

A l'heure de la concorde religieuse, voulut et imposé par notre souverain ...

Mordred aurait donc le tout dernier mot : les prêtres étant à la "botte" du tyran, tout comme les prêtresses du temple .

Plus que jamais, le tyran décidait de tout et de toute chose, et davantage encore ...

N'était il pas ... le maître absolu de ces terres ?

Un grand sourire de satisfaction tranquille se dessina sur les lèvres roses pâles de la jeune demoiselle.

-"Oh, mon très, très cher ami... je pensais aller voir mon confesseur, mais peut-être le vôtre serait-il mieux indiqué. Il vous connaît mieux, il sera sûrement tellement heureux de célébrer notre mariage... ! Il pourra sûrement nous conseiller pour une date. D'ailleurs... je voulais justement vous demander quelque chose de personnel.

Puis-je...?"

Isabelle se sentait soudain très intimidée... et horriblement impolie. Une très vive rougeur envahit son visage rond et un brin enfantin... et elle se lança, presque dans un murmure.

-"Je pensais.. peut-être.. organiser le mariage le jour de votre anniversaire. Mais... je ne connais pas seulement votre âge. Vous êtes si gentil, et attentionné, vous voyez, que j'en oublie les bonnes manières. Mais... vous faire plaisir en ce jour où l'on célèbre votre naissance... cela me tient vraiment à cœur."

Nerveuse, elle déchira d'un coup d'ongle quelques millimètres de dentelle accrochée aux manches de sa robe. Elle ne voulait pas le fâcher.... c'était tout à fait le style de chose qui faisait hurler son père - voir lui faire sortir le fouet, lui qui était fort sanguin...

Ainsi, pour le prêtre, Isabelle laissait son fiancé décider, et celui ci décidait ... D'opter pour :

Nous irons voir ... Monseigneur Phocas !

"Puis-je...?"

Kadoudal perçut bien le léger trouble dont fut soudain saisit la comtesse : intrigué et inquiet, celui ci posa une main apaisante sur celles, tremblantes, de sa belle amie ...

Et lorsqu'Isabelle fit sa demande, l'orcanien ne put s'empêcher de rire de bon coeur, avant d'embrasser les petites menottes de la jeune femme :

Quelle belle intention mais ... aussi, que de préventions superflues !

Le sourire du bougre lui "monta" jusqu'aux oreilles :

Je vais atteindre mes quarante printemps le ... 25 ème jour du mois suivant !

En êtes vous surprise ?

Il va sans dire que le sir Kadoudal faisait bien son âge mais ... Ne tombait pas encore en morceaux : à croire ( effectivement ) que l'alcool conserve ^^

La douce enfant répondit à son fiancé par un petit rire compréhensif.

-"Vous êtes parfait ainsi, mon ami. Père pense qu'un époux plus âgé est préférable... et vous alimenterez mes rêves, non mes cauchemars !"

Elle laissa errer son regard un instant sur le plat de viande qu'une servante avait apporté, puis porta la coupe d'eau à ses lèvres, buvant une gorgée paisiblement.

-"D'ailleurs... en parlant de ça... vous savez que mon chaperon, madame d'Athalarik, est quelqu'un de très cultivé. Mais elle refuse de me raconter des histoires sur ce château. Je suis si ignorante, et vous savez certainement comment on nous éduque au couvent. C'est un monde étroit... plus étroit qu'ici."

Il touchait sa main, et ce contact amenait en elle des sentiments trsè divers... où la peur prédominait.
Ce poids sur sa poitrine était insupportable, et son corset lui parut soudain beaucoup trop serré. Mais que se passait-il ? Elle, la damoiselle sérieuse et pieuse, voilà maintenant qu'elle racontait n'importe quoi, pour le retenir encore un instant près d'elle !

Se reprendre !

-"Enfin, vous devez... avoir des choses beaucoup plus importantes à faire. Vous m'avez déjà consacré beaucoup de temps... Je vous suis reconnaissante de votre gentillesse."

-"Vous êtes parfait ainsi, mon ami."

Voilà qui faisait plaisir à entendre : et c'est vrai que ce bougre de Kadoudal n'était pas aussi décrépit que certains, pour un âge similaire ... De plus, l'orcanien était encore vigoureux !

Votre père est un homme des plus sage !

Le soudard ne tarda pas a s'emparer d'un morceau de viande et a s'en repaître, avant de finir sa coupe de nectar, décidément si ... délectable .

Isabelle voulait entendre un historique du château ? Et bien soit, et son fiancé n'était pas spécialement pressé de rejoindre la salle du trône, ou quelques obligations l'attendaient ( effectivement ) :

Et bien, très chère ...

Le premier château de Warminster fut construit par les notables romains d'Orcanie qui peuplaient encore notre royaume, il y a de cela ... plus d'un siècle .

C'était une simple place forte militaire destinée a protéger les notables et leurs gens des incursions, incessantes, de hordes barbares venues de Galles ...

Et lorsque les romains quittèrent l'île, le seigneur Warwick ( on va dire ^^ ), père du roy Loth, pris possession du château . Et, celui ci, grâce à une partie du trésor des anciens maîtres d'Orcanie, ( oubliée par les fuyards ), constitua une armée nombreuse, renforça les défenses de la place forte avant ... de soumettre les autres chefs de clans du pays !

Warwick devint alors roy d'Orcanie et son fils aîné, le jeune Loth, proclamé héritier de la couronne ...

Par la suite, le roy Loth fit agrandir le château, ce qui permis à de nombreux paysans de venir s'installer dans la petite cité de Warminster, qui elle même, prospéra d'autant plus .

Notre royaume, unifié et élargis, jura alors allégeance au haut roy Uther ... Père du roy Arthur .

Les derniers travaux d'aménagement datent de la régence de dame Morgause, durant l'inter règne, entre l'abdication de sir Agravain et l'accession de sa majesté Mordred .

Ainsi, sans vraiment le vouloir, Kadoudal, en expliquant à Isabelle, les étapes marquant l'évolution du château de Warminster, avait, de fait, brossé le résumé de l'historique d'Orcanie ...

Qui vue la riche mais inexploitée terre des ancêtres de Mordred s'unifier, prospérer, avant de devenir ... le plus puissant vassal de la Bretagne d'Arthur .

Isabelle était très impressionnée par le savoir de son fiancé : et elle l'observait, fascinée, lui relater ainsi la naissance de l'orcanie.

-"Vous savez, mon ami, je trouve tout ceci incroyable. Il parait même que le démon qu'est devenu le roi Loth hante les murs ! Est-ce pour cela que messire Agravain aurait abandonné le trône à son frère ?"

Elle avait complètement oublié la chose désormais froide et figée dans sa graisse qui reposait sur son pain blanc.

-"Même si l'on sent que le Père Agravain qu'il est devenu a trouvé vocation dans ce qu'il accompli chaque jour pour notre Seigneur. Peut-être en est-il de même pour dame Niniane..."

Elle éprouvait une pointe de regret pour sa conduite irrespectueuse, qui fut vite par une bouffée de vertueuse indignation... sa main se crispa légèrement, signe d'une évidente contrariété.

Les apparitions du spectre de Loth : vaste et complexe question ! Tout comme Morgause, Kadoudal avait été amené a le rencontrer : "entrevue" tout sauf agréable ...

En effet, les rumeurs le prétendent : Loth erre désormais en Orcanie, telle l'âme damnée qu'il est devenu ! Que Dieu nous préserve de ce monstre !

Tout à chacun comprendra les raisons de la haine du soudard pour l'ancien roy de ces terres ... Quant à Agravain, la raison était tout autre :

Le haut conseil jugea le sir Agravain incapable d'accomplir sa tâche de souverain : il dut donc abdiquer ...
Celui ci se retira ensuite dans un cloître pour y trouver ... Sa véritable vocation .

Prince chétif, chevalier inaccompli, puis roy trop fragile, sans cesse au bord de la folie, à cette époque, Agravain avait, en effet, bel et bien trouvé sa voie : celle du Seigneur .

Oui ... J'imagine que la dame Niniane vit et ressent son engagement, son devoir, sa charge comme un véritable sacerdoce de tout les instants ... A l'image des nonnes ou des prêtres !

Le voeux de chasteté en moins, quoique ... L'Église n'était pas exempte de "brebis égarées", à une époque ou les règles de la chrétienté n'étaient pas, encore, bien établies, en tout lieux .

» Banquet en l'Honneur d'Isabelle et Kadoudal.
» Isabelle de Mannach
» Appartement de la Princesse Gwenaelle (pv Morg et Isabelle)
» Chez Isabelle
» En attendant dame Isabelle ...