Repas de Famille

Georges de Mannach attendait ses enfants. Il commençait à s'impatienter. Bientôt il pourrait quitter cette cour ridicule et retourner à ses préparatifs de guerre.

Le vieil homme tança de belle manière une servante qui avait manqué de renverser du vin sur son pourpoint ocre et argent - les couleurs de la Famille. Il avait préparé avec soin ce repas, et si cette gourde avait ruiné sa tenue... Un dernier regard à la table : bonne chère mais pas trop, bons vins mais coupés et de la tisane brûlante. La discussion pourrait être animée sans devenir pesante ni troublée. Tout semblait prêt.

Georges de Mannach commençait (véritablement) à s'impatienter.

Et fort heureusement pour les nerfs (et la bonne santé?) du comte de Mannach, le couple Kadoudal ne manqua point de survenir...que très peu de temps après l'heure fixée.

Le conseiller vêtu de sa grande tenue de dignitaire orcanien...sur lequel oscillait, et brillait avec intensité son collier de chevalier de l'ordre du corbeau (:p!)...
Et sa noble dame, resplendissante, comme toujours, dans ses meilleurs atours.

Nul doute que ce repas de famille serait plus politique qu'autre chose : ce qui satisfaisait pleinement l'orcanien, d'ailleurs!
Il n'aimait guère perdre son temps en vaines paroles, et les conversations concrètes étaient bien les meilleures.
Néanmoins...si la confiance que semblait lui accorder son désormais...père...l'emplissait d'un certain orgueil...Kadoudal sentait, depuis peu, monter en lui...comme un semblant de nervosité.Commençait il à douter (de lui même)?

Sourde angoisse qui se réveilla lorsque le couple fit enfin face à leur hôte : c'est qu'il était impressionnant le vieux avec ses airs supérieurs(:p)...
Le conseiller esquissa un sourire quelque peu crispé, et s'inclina légèrement.

Messire le comte...
C'est avec joie que nous nous présentons à vous!

C'était l'introduction...à Isabelle de poursuivre maintenant.

Très officielle, l'ancienne novice se tenait aux côtés de son époux.
Parée sous son meilleur jour, des épingles à têtes précieuses qui ornaient sa coiffe de dentelle blanche jusqu'à sa robe de satin vert sombre, Isabelle, comme un bijoux, brillait à la douce lumière des chandelles ; et une main sur un ventre mis en avant par une grossesse presque avancée dénotait toute l'importance que le couple accordait à la future naissance de l'enfant.

Elle connaissait l'importance de la réunion qu'avait préparé son père. Il n'aimait ni les mondanités, ni le protocole, et, pour cela même, la jeune femme se préparait à une longue soirée. Sans doute allait-il annoncer son départ - source de soulagement secret - et probablement des milliers de recommandations. Car il avait un plan, long et fastidieux, sur le chemin du pouvoir. Cette même puissance qui n'avait jamais intéressée la pieuse Isabelle, jusqu'à un certain degré...
Oui, elle aimait se sentir forte, elle aimait administrer les choses ; la musique des mots et la danse des calculs avaient parfois envoûtées son esprit, au point de lui faire battre le cœur à tout rompre.
Et dans le silence de son âme de bonne épouse, la comtesse espérait que son père arriverait à faire partager cette passion commune à son mari.

Certes, il était conseiller, il était dans l'oreille et l'esprit de Mordred - ne parlons pas bien entendu de dame Morgause, quelle femme dépravée - mais il ne lui semblait pas encore posséder la fidélité à son nouveau nom. L'amour de la terre, l'amour de la bataille pour que son nom retentisse plus fort, plus haut que ses maitres ; sinon en titre, du moins... dans la réalité des choses.

D'une voix claire et enjouée, jouant son rôle à la perfection, elle salua son père, avec un respect mêlé d'une certaine crainte révérencieuse, pour s'avancer enfin vers un siège, une main doucement posée sur l'épaule de Geoffroy... comme pour le guider, d'une simple pression de sa peau blanche.

Le vieil homme regarda le couple avancer. En bon hôte, il s'était levé pour les accueillir, mais n'avait pas fait un pas dans leur direction quand sa jambe s'était rappelée à lui.

"Bienvenue mes enfants, heureux que vous ayez trouvé mes quartiers."
Autant la première partie de la phrase avait été cordiale, autant le ton avait été asséché dans le reproche.
"Je vous propose de vous asseoir immédiatement. Excusez moi si je ne viens pas à vous, mais avec ce ciel chaotique, ma vieille jambe se rappelle cruellement a mes pensées."

Georges de Mannach se laissa presque tomber sur son siège et bu une lourde gorgée de vin coupé. Il fit un signe à la servante qui amena les planches façonnées ainsi que les cuillères et les couteaux d'argent dans lesquelles les seigneurs mangeraient. Le comte continua à parler du temps alors que les plats étaient posés entre les convives. Quand tout fut disposé, il congédia le personnel ancillaire qui serait appelé au besoin.

"Le printemps arrive et votre mère à hâte de me revoir sur nos terres. J'ai aussi quelques préparatifs à faire pour cet été, mais cela sera encore calme... cette année."

Le jeune couple s'installa donc face à leur vénérable hôte...et le conseiller Kadoudal, tout en écoutant avec attention, et déférence, le "vieux" comte...s'empressa de servir sa très jeune épouse...avant de faire de même avec son désormais "père"...puis enfin de se servir, lui même...une bonne coupe de vin.

Mais ce qu'il but, de prime abord, et surtout...ce furent les paroles du comte, que Kadoudal décrypta sans aucun mal.
Les préparatifs? celle de la guerre qui ne manquerait pas de survenir entre les Mannach et leurs voisins!
Ah! leurs pauvres adversaires goûteraient très bientôt au glaive orcanien...et à l'amertume d'une défaite aussi certaine...que cinglante (et sanglante?)...et le bouillant soudard ne serait pas en reste.
Mais avant l'heure des combats, les "mondanités"

Comment se porte ma dame la comtesse votre épouse, messire le comte?

Afin de masquer une gêne naissante...Kadoudal but quelques gorgées de boisson, pour ensuite considérer furtivement sa mie...
Le vieux briscard n'était pas encore tout à fait à son aise...avec celui qu'il pouvait (devait?) appeler, désormais, père.

Qu'en est il...du litige qui vous...nous opposent...à vos voisins...nos voisins (décidément!)...messire le comte?

Demanda t-il, sur un air des plus détaché, tout en se servant franchement en victuailles...comme si ses propos...n'étaient point, en réalité, les premiers signes (oraux) annonciateurs du conflit et de la mort.

"Oh, elle va très bien. C'est juste que certains chevalier n'aiment pas qu'une femme leur donne des ordres. C'est elle qui gère les revenus du domaine et toute capable qu'elle soit, cela froisse certains de mes vassaux. J'aurais à souffler dans quelques bronches à mon retour, sans le moindre doute."

Georges de Mannach eut un sourire sans joie et se servit d'un joli morceau de viande.

"C'est elle qui nous a interdit de partir en guerre cette année. Les récoltes de l'année dernière n'ont pas étés assez bonnes, semble-t-il, pour dégarnir les terres cet été. Bah, je lui fait confiance, elle ne s'est encore jamais trompée sur ces sujets et si Isabelle est a moitié aussi capable, vous serez sage de l'écouter mon fils."

Le vieux renard prit une lente gorgée de vin coupé, déglutit et reprit...

"Quand aux Do Losterno, ils vont tenter de battre le rappel de leurs alliés ce printemps. Je compte les laisser mariner jusqu'à la moitié de l'été. Là, le maintient de leur troupe leur aura coûté assez cher... et je me contenterai d'aller discuter avec les vassaux et les alliés du duc. Leur rappeler le prix d'une guerre... L'hiver prochain sera rude pour tous ces gens dont si peu de serfs auront semé ce printemps. L'année prochaine sera grande pour les Mannach, en vérité."

Le sourire se fit carnassier donnant à la douceur printanière la fraîcheur des tombeaux à creuser.

Isabelle de Mannach réprima un sourire, baissant ses yeux.

En présence de son père, la jeune fille s'effaçait, laissant place à une femme discrète et compassée. Elle ne connaissait que trop bien les violentes sautes d'humeur de son géniteur et ses décisions aussi rapides que décisives ; mais elle savait que ce dernier n'agissait que dans un seul but, et que son ambition dévorante ne tendait qu'à anoblir un peu plus leur nom. Et elle n'était pas peu fière de sa mère... même si elle ne la connaissait pratiquement pas, au final, et qu'elle ne l'admirait qu'à travers les récits de son père.

Se servant d'un morceau de viande à son tour, l'épouse du seigneur Kadoudal prit la parole.
Sa voix était douce, comme à l'ordinaire ; mais une dureté inhabituelle y transparaissait, semblant un écho étrangement féminin de celle de son père.

-" Il nous faut seulement espérer que les récoltes seront meilleures pour nous l'année prochaine, Père. Nous devrions agir prudemment... Mais sans nul doute que le seigneur Mordred nous prêtera quelques hommes. Mon tendre époux..."

La jeune fille avança une main pâle sur celle de son mari, la serrant d'une pression d'enfant. Il était temps que Geoffroy de Kadoudal prenne conscience qu'il devait choisir un camp... le seigneur Mordred ou ses futures terres ?

-"Mon tendre époux est très écouté au conseil."

Ses yeux verts brillaient maintenant comme des escarboucles à la lumière des chandelles d'une étrange lueur... où l'amour et une assurance nouvelle pouvaient désormais se lire clairement.

Kadoudal acquiesça, en souriant, aux propos du comte de Mannach, et renchérit à son tour :

Les femmes recèlent beaucoup de bon sens, en effet... davantage...que ce que nous pourrions, à première vue, déceler en elles.

Soudard au combat mais suffisamment éduqué, par ailleurs, l'orcanien avait pleinement conscience de la valeur, parfois dissimulée, des représentantes du beau sexe...
Moult d'entre elles avaient marquées au fer rouge son existence...A commencer par sa propre mère, puis Morgause (avant tout)...Lydia...(Elena dans une moindre mesure), et enfin Isabelle...Qu'il aimait découvrir de jour en jour...pour son plus grand plaisir.

La belle enfant qui se montrait souvent fort avisée, comme à ce moment précis, ou elle s'exprima, très justement.
Son époux la gratifia d'un doux regard empreint d'une certaine fierté...Avant de s'adresser à son vis à vis :

Oui...Lorsque le moment sera venu...Avec l'accord du roy, je prendrais la tête d'une légion entière...Et croyez bien que nos ennemis fléchiront à la vue des étendards d'Orcanie!
Dans le cas contraire...ils seront châtiés, comme il se doit.

Détermination et arrogance étaient les maîtres mots du sir Kadoudal, avant de partir guerroyer.

Le comte leva son verre en un toast muet.

"La peur et la force pour la conquête, mon fils. Oui. Ma fille à bien choisi."

Rassuré par l'élan de son gendre, Georges de Mannach décida de poursuivre sur une discussion moins personnelle, pour lui.

"Et comment vos terres se sont elles portées cette année écoulée ? Sans aller jusqu'à parler de catastrophe, nous serons heureux d'arriver aux récoltes. Sans parler des discussions et des émois qu'ont causé les récents troubles parmi les serfs..."

La coupe suivante fut moins coupée d'eau qu'elles ne l'avaients été jusque là.

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